Pat Dunphy n’a pas emprunté la voie du fils qui hérite de l’exploitation de son père, mais la voie peu courante de l’agriculteur de l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.) pourrait bientôt le devenir.
Pat dirige une exploitation qui appartient à des investisseurs de l’extérieur tout en bâtissant progressivement sa propre ferme. Demandez-lui quels ont été les éléments clés, et la réponse du jeune homme âgé de 28 ans pourrait en surprendre certains.
« Si j’examine mon parcours, je dirais que ce sont la communication et l’établissement de relations », dit-il.
Pat n’est pas un nouveau venu dans le secteur agricole : sa famille pratique l’agriculture à Cherry Valley, située sur la côte sud de l’Î.-P.-É., depuis le milieu des années 1800 lorsque son arrière-arrière-arrière- grand-père (qui s’appelait aussi Patrick Dunphy) a émigré au Canada à la suite de la Grande Famine en Irlande. Son père cultivait des pommes de terre de semence et faisait l’élevage de porcs et de vache-veau sur une superficie de 300 acres. C’était toutefois difficile de gagner sa vie à cette échelle de production et, avant que Pat ne termine ses études universitaires, son père a abandonné l’agriculture pour aller travailler dans un champ pétrolifère en Alberta.
Bien que Pat ait travaillé sur la ferme laitière d’un voisin pendant ses études, il estimait que son avenir se trouvait ailleurs. Il était un premier de classe au secondaire, et lorsqu’il a obtenu son diplôme en 2002, il a aussi obtenu une bourse d’études complète pour fréquenter l’école de commerce de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard.
« Ne me demandez pourquoi j’avais choisi le commerce, dit-il. J’étais plutôt attiré par la chimie et les sciences, mais j’ai découvert que je n’aimais pas ça et j’ai abandonné le programme après une session seulement. »
Ne sachant que faire ensuite, il a passé quelques mois à « réfléchir ».
« Vous ne pouvez pas réfléchir éternellement parce que les factures ont des dates d’échéance, raconte-t-il. Lorsque j’ai entendu à travers les branches qu’une ferme de pommes de terre cherchait quelqu’un, je me suis dit que j’allais essayer. »
En plus des pommes de terre, cette ferme cultivait des plantes fourragères parce que les deux propriétaires possédaient leur propre ferme d’élevage. Ce fut sa première expérience de production végétale à grande échelle. « Je me suis rendu compte que j’aimais vraiment ça », confie-t-il.
« Ensuite, je me suis dit que si la production végétale m’intéressait vraiment, je ferais mieux de suivre une formation. L’un des partenaires de la ferme de pommes de terre avait étudié au Collège d’agriculture de la Nouvelle-Écosse et j’ai décidé de suivre son exemple. »
Pat s’est inscrit en phytologie et retournait à la ferme chaque fois qu’il en avait l’occasion – non seulement pendant la relâche mais aussi pendant les fins de semaine malgré le trajet aller-retour de sept heures. Lorsqu’il a obtenu son diplôme en 2007, il a demandé aux propriétaires de la ferme s’ils accepteraient de lui louer 20 acres ainsi que l’équipement nécessaire pour ensemencer et récolter du lin. Et comme l’achat des intrants était tout ce qu’il pouvait se permettre au début, il leur a demandé s’ils accepteraient le versement du paiement de la location des terres et de l’équipement une fois la récolte vendue.
« Ils ont accepté, et je dois avouer qu’après cette première récolte, j’étais devenu assez accro », raconte Pat Dunphy.
C’est également à ce moment qu’il a commencé à se rendre compte que les relations allaient devenir un élément essentiel à sa carrière en agriculture.
« Je sais que d’autres personnes les avaient déjà approchés pour la même chose et qu’ils avaient refusé, dit-il. Je ne peux pas dire pourquoi j’ai eu cette chance, mais j’en suis très heureux. »
Pat a ensuite été promu responsable des productions végétales, tout en continuant d’accroître son activité agricole d’appoint. Il s’est ensuite lancé dans la culture du soja. Ce n’est pas une culture courante au pays de la pomme de terre, mais il savait que certains producteurs obtenaient de bons résultats à partir de nouvelles variétés. Il a donc loué les terres auprès de son père et l’équipement auprès de ses employeurs, et s’est rendu jusqu’à 200 acres cultivés en soja. Pendant ce temps, il a rencontré deux investisseurs du Midwest américain qui avaient fait l’acquisition de terres à l’Î.-P.-É et pour qui ses employeurs effectuaient du travail à forfait.
« Je leur ai dit tout bonnement de m’appeler si jamais ils avaient besoin d’aide pour quoi que ce soit. Vous savez, le genre de chose que l’on dit à des voisins. Eh bien, cet hiver-là (2009), ils m’ont donné un coup de fil. »
Une fois de plus, les relations ont ouvert des portes. Pat cultive maintenant 2 000 acres en soja et en maïs pour ses nouveaux employeurs ainsi que 500 acres pour lui-même (il cherche actuellement à acheter des terres). Il se décrit comme étant davantage un gestionnaire d’entreprise agricole qu’un agriculteur et confie qu’il est difficile d’imaginer comment il pourrait acquérir les actifs dont il a besoin pour démarrer sa propre entreprise.
« Serais-je prêt à me passer du revenu stable que me procure mon travail de gestionnaire d’entreprise agricole pour faire route seul? Je ne sais pas? dit-il. Compte tenu de ma situation actuelle, pratiquer le genre d’agriculture que je fais présentement, c’est-à-dire disposer d’une grosse moissonneuse-batteuse et d’équipement assez moderne, semble quasi impossible. »
« Peut-être pas », s’empresse-t-il d’ajouter.
« Je sais qu’ici à l’Î.-P.-É., et j’imagine que c’est la même chose ailleurs au pays, il y a pénurie de jeunes en agriculture, dit-il. J’ai observé que la génération vieillissante est plus disposée que jamais à accueillir des idées nouvelles et des jeunes sur leur exploitation agricole. »
Pat, qui est président de la PEI Young Farmer’s Association (association des jeunes agriculteurs de l’Î.-P.-É.), ajoute qu’il y a aussi un assez bon nombre de jeunes qui, comme lui, souhaitent vivre de l’agriculture mais qui n’ont pas de ferme dont ils pourraient prendre la relève.
« Je connais deux gars qui ont terminé leurs études collégiales un an avant moi et qui se sont retrouvés à faire la même chose que moi, dit-il. Leur situation était semblable à la mienne : la ferme familiale n’allait pas très bien ou la taille ne permettait pas d’accueillir une autre personne. Mais ils ont finalement trouvé une façon de vivre de l’agriculture. »
C’est difficile de prédire l’avenir, mais Pat Dunphy affirme qu’il existe des occasions pour ce qu’il appelle des « méthodes créatives de transfert de ferme ». Nombreux sont les agriculteurs qui n’ont pas de relève, mais qui ne veulent pas que l’entreprise qu’ils ont bâtie au cours de leur vie aille à l’abandon et que les actifs soient liquidés.
« Les agriculteurs sont des gens fiers et je ne crois pas que recevoir un chèque provenant de la vente de la ferme les enthousiasme vraiment, explique Pat. À défaut d’avoir un fils, une fille ou un membre de la belle-famille intéressé à prendre la relève, accueillir une personne de l’extérieur pourrait se révéler la deuxième meilleure option. »
Bien que le coût d’achat d’une ferme de taille commerciale soit énorme, ce n’est pas nécessairement un obstacle insurmontable si le propriétaire est prêt à étaler la transaction sur une assez longue période, explique-t-il. Selon Pat, les points les plus délicats sont les relations et la communication.
Le premier point dépend en partie de la démonstration des connaissances que vous possédez en production et en affaires, mais aussi de la passion envers la ferme et de la vision quant à son avenir, ajoute-t-il.
« Je crois que pour l’agriculteur vieillissant, c’est de voir en cette personne une image de lui-même 30 ans plus tôt.
Ensuite, lorsque le moment est propice, les deux parties doivent discuter des diverses possibilités.
« Amener une personne vieillissante à dire de quelle façon elle voit son entreprise dans une dizaine d’années est très difficile, dit-il. C’est à ce moment que la communication intervient. Vous devez trouver une façon d’aborder ces sujets. »
Pat Dunphy entame sa sixième saison agricole et explique qu’il est encore trop tôt pour dire s’il empruntera cette voie. Mais il est persuadé que des occasions du genre existent.
« Regardez-moi maintenant. Il y a 20 ans, vous n’auriez pas vu ce genre de situation très souvent, mais les temps changent. »